« Ce qui me motive chaque jour, c’est d’être là pour quelqu’un, de lui offrir un projet qui le stimule jusqu’au bout, de le maintenir en éveil. J’aimerais tellement que la biographie hospitalière puisse être proposée au plus grand nombre !«
Nathalie est biographe hospitalière pour l’association Traces de Vies. Elle témoigne aujourd’hui pour nous faire découvrir son métier-passion.
Pouvez-vous nous parler de l’association Traces de Vies ?
Traces de Vies accompagne par l’écriture les personnes malades ou en fin de vie, âgées, isolées, en situation de handicap, traumatisées ou confrontées à la situation d’un proche (aidants, famille, fratries).
L’association a été créée par Christèle Cuinet en 2011. Elle a accompagné, en 2003, sa meilleure amie dans sa fin de vie, en soins palliatifs, et a ressenti « son besoin de parler, de se livrer, l’urgence de dire, de revenir sur des instants de sa vie. »
Notre association intervient sur la demande des équipes soignantes (hôpitaux, médecins de ville, psychologues, EHPAD…) et des associations d’aides à domicile qui détectent chez leurs patients un repli, une souffrance ou un besoin de transmettre.
Nous proposons aux personnes de les accompagner dans l’écriture de leur récit de vie ou de leur biographie. Les livres ont vocation à rester au sein des familles, ils sont tout autant les témoins de la maladie que les coffres forts de l’histoire familiale.
Afin de donner un sens à la fin de vie et à la maladie, Traces de Vies offre du temps à travers la biographie hospitalière : un accompagnement et une écoute à la personne afin de lui donner la possibilité de s’inscrire dans un projet au-delà du soin. Le livre permet de garder une trace du passage dans la maladie, des forces créées pour avancer.
Traces de Vies œuvre pour une reconnaissance de la biographie hospitalière comme d’un métier ; c’est pourquoi les accompagnements sont obligatoirement réalisés par un professionnel formé, dont c’est l’activité.
Comment avez-vous intégré cette association ?
Personnellement, j’ai toujours aimé écrire. Je suis professeur de français et de langues étrangères et j’ai exercé mon métier à l’étranger pendant plusieurs années. Rentrée en France il y a trois ans, j’ai eu l’opportunité de découvrir Traces de Vies par le biais d’une présentation de Christelle (la fondatrice) à la télévision, sur la Chaîne Parlementaire (LCP). Sa passion et son engagement m’ont interpelée. progressivement, j’ai ressenti le besoin de changer de cap professionnel pour me consacrer à cette cause.
D’après vous, quelles qualités sont nécessaires pour la biographie hospitalière ?
Plusieurs qualités sont essentielles pour la biographie hospitalière. Tout d’abord, il faut être capable de pratiquer une écoute active, ce qui implique de ne pas porter de jugement mais d’être pleinement présent pour comprendre et soutenir l’autre.
Ensuite, la patience est une qualité clé car les situations peuvent parfois être complexes et demander du temps.
La flexibilité est également primordiale pour la biographie hospitalière car il faut être capable de s’adapter rapidement aux changements de situation ou aux besoins des personnes que l’on accompagne.
Enfin, je crois qu’il est important d’être bien dans sa tête soi-même, car cela nous permet d’être pleinement disponibles et efficaces dans notre travail auprès des autres.
Quel bilan tirez-vous de cette nouvelle aventure professionnelle ?
La biographie hospitalière est véritablement passionnante car elle permet de me sentir utile et de contribuer de manière significative au bien-être des autres. Ce qui me motive chaque jour, c’est d’être là pour quelqu’un, de lui offrir un projet qui le stimule jusqu’au bout, de le maintenir en éveil et de lui donner un objectif bien défini à atteindre. J’aimerais tellement que la biographie hospitalière puisse être proposée au plus grand nombre !
Pourquoi avez-vous contacté Visitatio – Voisins & Soins ?
J’ai découvert Visitatio – Voisins & Soins grâce à des articles dans le magazine municipal de La Garenne-Colombes, où j’habite. La mission de l’association étant d’accompagner les personnes en fin de vie, j’ai pensé à les contacter en me disant que les équipes seraient de bons relais pour Traces de Vies.
En effet, ce n’est pas moi, biographe, qui frappe directement à la porte des personnes malades ou en fin de vie pour leur présenter la biographie hospitalière et leur proposer la rédaction de leur propre biographie. Il est donc important d’avoir de bons contacts pour parler de nous auprès des personnes concernées.
Et Visitatio – Voisins & Soins a immédiatement compris de quoi il s’agissait : l’équipe a très rapidement su identifier une personne intéressée.
Quel est l’impact de la biographie hospitalière sur les personnes que vous accompagnez ?
Les bénéfices de la biographie hospitalière sont assez incroyables. Au début, beaucoup de personnes que nous accompagnons ne réalisent pas forcément qu’elles ont des choses à dire, des histoires à raconter. Mais au fil du temps et des rencontres, elles prennent conscience de la richesse de leur vie, de toutes ces expériences qui méritent d’être partagées et préservées. C’est une véritable transformation et une prise de conscience de la valeur de leur existence.
Quand à l’impact sur l’entourage, c’est parfois surprenant. Il arrive que des proches ne soient pas au courant de ce projet d’écriture. Cela dépend vraiment de l’auteur et de la manière dont il décide d’aborder la démarche avec sa famille et ses amis. Et lorsque l’entourage découvre le livre, les réactions sont très positives. Ce projet renforce les liens familiaux et permet à chacun de mieux se comprendre et de se soutenir mutuellement dans cette démarche de transmission qu’offre la biographie hospitalière.
Où exercez-vous votre activité de biographe hospitalière ?
Traces de Vies intervient principalement dans trois types de lieux : les unités de soins palliatifs (20%), les EHPAD (20%) et les domiciles (60%). Ces derniers sont particulièrement propices à la biographie hospitalière. Les personnes nous accueillent chez elles, dans un environnement familier et rassurant : elles sont dans un cadre dans lequel elles sont en confiance, ce qui aide pour se livrer.
Etre entouré de ses propres souvenirs facilite également le rappel des moments de vie. Lorsque nos interlocuteurs pensent avoir tout dit, il suffit parfois de jeter un coup d’œil autour d’eux, dans leur chambre, leur salon, leur maison : chaque objet recèle une histoire susceptible de réveiller des souvenirs enfouis.
Je pense par exemple à un monsieur qui avait chez lui une photo encadrée d’un jeune homme à cheval. En lui demandant si c’était lui sur la photo, il m’a répondu que c’était Johnny…. Oui, LE Johnny Hallyday ! Il était fan du chanteur et l’évocation de son nom a ravivé de très beaux souvenirs de sa jeunesse. La machine était relancée : il avait à nouveau plein de choses à partager.
Comment se passe la rédaction d’une biographie hospitalière ?
Lorsqu’une personne exprime le désir de partager son histoire, nous planifions généralement une dizaine de séances d’écoute, en prenant en compte ses besoins en soins et son rythme.
La première rencontre revêt une grande importance : elle établit le cadre des entretiens, incluant la présentation et la signature d’une charte. Elle permet également de construire une relation de confiance dès le départ.
Une fois le récit recueilli, il est retranscrit, relu et corrigé par des professionnels. Ensuite, il est soumis à la validation du patient. Puis vient l’étape de l’impression : création de la maquette, validation des épreuves, impression et reliure artisanale.
Une fois imprimé, le livre est distribué en 10 exemplaires au patient ou à sa famille. La remise du livre est toujours un moment très touchant : cela signifie que notre mission est accomplie. C’est comme refermer un livre, tourner une page.
Le livre est toujours remis gracieusement aux personnes accompagnées, mais sa production représente un coût estimé entre 3 000 et 5 000 euros financés par des dons privés ou du mécénat.
Quelles sont les valeurs de Traces de Vies ?
Chez Traces de Vies, notre première valeur est la transmission. L’objectif, une fois le livre édité, est de laisser son récit de vie à quelqu’un.
Par ailleurs, nous accompagnons chaque individu sans aucune discrimination. En effet, chaque histoire est unique et mérite d’être racontée avec le plus grand respect. C’est pourquoi nous fournissons un travail professionnel en suivant une charte stricte et en formant nos biographes de manière rigoureuse.
A titre personnel, il me semble également primordial de ne pas blesser les personnes, d’être fidèle à leurs propos et de rester authentique. Nous mettons un point d’honneur à rester fidèle aux mots et aux messages que la personne souhaite laisser, tout en s’assurant que ce qui est transmis ne blesse personne.
Chez Traces de Vies, le but ultime de la biographie hospitalière est de faire comprendre aux personnes qu’elles ont une identité précieuse jusqu’au bout. Nous souhaitons qu’elles ressentent leur valeur à chaque étape de ce processus. C’est une démarche profondément humaine et valorisante pour les personnes en fin de vie.
Pouvez-vous nous parler de votre expérience avec Valentin, un jeune qui a été accompagné par l’équipe Visitatio – Voisins & Soins de Boulogne-Billancourt ?
Je pense que je serai marquée à vie par cette rencontre. Sa maladie le rendait très vulnérable, très fragile. Lorsque je l’ai vu pour la première fois, j’ai tout de suite senti une connexion avec ce jeune homme. Tout au long des séances, nous étions à chaque fois dans une bulle, entièrement dédiés au moment présent.
Dans ces moments-là, il est vraiment important de faire preuve d’une grande humilité en acceptant de lâcher certains acquis. D’habitude, je veille à garder une certaine distance pendant l’échange. Avec Valentin, je devais m’approcher pour lui parler car il n’entendait plus très bien.
J’ai du être de mon côté encore plus à l’écoute que d’habitude : son débit de parole était très saccadé, très lent. Difficile de comprendre au début. Puis, au fil des séances, je me suis mise à son rythme, j’ai réussi à mieux le comprendre. Je garderai toujours le souvenir de son visage si beau et si doux.
Vous avez également rencontré Guy, accompagné par l’équipe Visitatio – Voisins & Soins de La Garenne-Colombes ?
Oui tout à fait. J’ai beaucoup apprécié mes rencontres avec Guy. Cette collaboration a été très plaisante grâce à notre proximité locale. Nous habitons en effet tous les deux dans la même ville. On a un lien socio-culturel : je l’ai ressenti tout de suite. Ca permet d’établir un contact, de créer un lien de confiance encore plus facilement. *
Cette collaboration a également représenté un défi pour moi, étant donné que Guy est plutôt réservé. Au début, il pensait ne pas avoir grand chose à raconter, alors qu’en réalité, sa vie est passionnante. Lorsque ses enfants ont lu le livre, ils ont été surpris de découvrir leur papa sous un nouvel angle.
Si vous souhaitez en savoir plus sur l’association, c’est par ici : Traces de Vies.