Etre là, témoignage de François Génin sur l’accompagnement

Être-là
Patrick ne parle pas. Il n’a jamais parlé depuis le début de l’accompagnement. Nous le voyons se frotter le front de sa grande main d’homme d’action qu’il a été ; les yeux fermés ; l’air soucieux, concentré.
Aujourd’hui son agitation intérieure est plus marquée. Son buste a glissé le long de son oreiller et il est tout recroquevillé. Je vais chercher l’infirmière pour le redresser. Et puis je reste là. Je sens bien qu’il sait que je suis là. Plus d’une heure durant passée à être là. Simplement être là, être à ses côtés, pour l’essentiel dans le silence.
Quelques paroles d’encouragement lorsqu’elles montent en moi d’une manière persistante qui me convainc qu’il faut oser les prononcer.
Et puis ce moment, ce tournant : quelque chose visiblement semble s’être détendu en lui ; son visage change ; il est désormais apaisé, pleinement. Quelque chose s’est passé, visiblement important et je crois qu’il est prêt à partir. Effectivement, il rendra son dernier souffle le lendemain.
Mystère de la présence à l’autre ; avec ou sans parole ; avec ou sans regard.
Être-là.
Être-là POUR une personne qui affronte l’ultime vulnérabilité.
POUR elle, avec toute la compétence qu’apportent les professionnels ;
POUR elle, avec cette gratuité singulière qu’apportent les bénévoles. Cette gratuité, aux côtés des professionnels et de leur très indispensables compétences, porte en elle-même le caractère d’un don, donc de l’amour. Cette présence, cet « être-là », humblement, discrètement, a le pouvoir de remettre l’humain à l’endroit, et dès lors le chemin se dessine tout naturellement. Entre le visité et le visiteur, pas besoin de mettre des mots là-dessus ; la seule présence attentive, attentionnée suffit. Parfois des mots plus essentiels sont partagés ; ils sont alors un surcroît.
Être-là, avec ce que cela a pourtant de paradoxal : les personnes que nous accompagnons descendent progressivement dans une solitude de plus en plus radicale et visiblement, essentielle.
D’une certaine manière, il s’agit d’être là pour aider les personnes à être seules… Une présence non pas pour les divertir de ce que cette solitude a d’essentiel mais pour les aider à l’assumer.
Et alors les rôles s’inversent : celui qui visite devient lui-même visité par l’essentiel qui s’est invité dans la vie de celui qu’il visite. On croit accompagner mais en réalité, c’est l’accompagné qui nous fait la grâce de nous admettre à ses côtés sur ce chemin qu’il défriche sous nos yeux, solitaire et pourtant nous accueillant.
Selon ce mot du proche d’un mourant : « on croit que ce sont les vivants qui ferment les yeux des mourants, mais en réalité, ce sont les mourants qui ouvrent les yeux des vivants. »